Aussi loin que je me souvienne, je n'avais jamais pris l'avion. Ces gros engins m'avaient toujours fasciné et j'avais toujours rêvé de voyager dans le monde entier mais je n'avais jamais eu l'occasion de franchir le pas. C'était donc une grande première, ce qui était stressant, mais le voyage l'était aussi à bien d'autres égards. Je quittais tout, ma mère, le potentiel homme de ma vie, ma fac, mon pays... Avant de serrer ma mère contre moi à l'aéroport, je n'avais pas pleinement réaliser ce que je faisais. C'était de la folie, du grand n'importe quoi, mais j'étais tout de même heureuse de retrouver mon oncle une fois arrivée à ma destination.

J'avais demandé à ma mère de ne pas lui dire. Nous l'avions eu au téléphone dans la semaine pour prendre de ses nouvelles, comme nous le faisions souvent. Ainsi, la seule chose dont j'étais vraiment sûre était qu'il vivait toujours à Chicago, vraisemblablement à l'adresse qu'il nous avait donné en y arrivant l'année précédente. Il avait une bonne voix au téléphone, étrangement plus joyeuse qu'à son habitude, comme si quelque chose avait changé dans sa vie depuis peu... Je le connaissais tellement bien que j'avais toujours su qu'il nous mentait.

La mort de sa femme l'avait transformé, son départ à Chicago lui avait à peine changé les idées et non, il n'allait pas bien, quoi qu'il en dise. Je m'en étais toujours voulu de ne pas avoir tenté de le retenir mais, à quoi bon ? Rester à Londres aurait été un enfer pour lui et le voir aussi mal aurait été une torture pour moi. Je crois qu'il n'y avait pas de solution dans ces cas là, un cœur brisé ne se répare pas, ou du moins, pas simplement en changeant d'air. Alors oui, Liam nous mentait en disant qu'il était heureux à Chicago, en nous disant que son psy trouvait qu'il faisait des progrès. Maman aussi le savait mais nous préférions lui faire croire qu'il était crédible. Au fond, le savoir aussi mal nous rongeait mais nous ne pouvions rien y faire...

Aujourd'hui, c'était ma chance. J'allais pouvoir veiller sur lui comme il avait veiller sur moi pendant toute mon enfance. Être là pour lui, même de loin, pouvoir le tenir dans mes bras, m'assurer qu'il ne fasse pas de bêtises. C'était ridicule, Liam était un grand garçon et il n'avait pas besoin de moi... Il s'en était bien sorti jusqu'à présent non ? Cette mission n'était qu'un vulgaire prétexte, une idée égoïste qui devait ME changer les idées. En prenant soin de lui je ne penserais plus à mes ennuis, en passant du temps à m'assurer que ses problèmes soient réglés, je ne penserais plus au miens. Je n'étais qu'une idiote et ma mère n'avait pas eu le courage de me le dire. Elle avait déposé un baiser sur mon front, les yeux humides, et elle m'avait souhaité bon voyage.

Pendant tout le trajet, j'avais imaginé nos retrouvailles en long en large et en travers. J'aurais sûrement du lui dire que j'arrivais, surtout que je ne venais pas simplement pour les vacances... Il allait sans doute m'en vouloir de débarquer comme ça... Et s'il était vraiment fâché ? Mon estomac se noua, m'interdisant de profiter de l'excellent repas fournit par la compagnie. Je ne parvins pas non plus à regarder un des films proposé... Moi, ne pas regarder un film, j'étais vraiment mal ! J'étais si agitée que la gentille dame assise à côté de moi me demanda à plusieurs reprises si j'allais bien. Gênée, je lui avais expliqué que c'était mon premier vol et que ça me rendait nerveuse... Ce n'était pas tout à fait faux.

Le vol me sembla interminable et mon arrivée ne me rassura pas vraiment. Le chauffeur de taxi était pourtant très sympathique bien que surpris de me voir déménager avec si peu d'affaires. Je lui expliquais que j'allais vivre dans un hôtel quelque temps avant de m'installer sur le campus. Pas besoin de meubles donc et les vêtements pouvaient se remplacer facilement. J'avais surtout voulu laisser mon ancienne vie derrière moi mais il n'était pas la peine de le crier sur tous les toits. Une fois arrivée à destination, je lui demandais s'il pouvait revenir me chercher dans une heure et il accepta gentiment. Il me fallait juste le temps de poser mes valises et de prendre une douche, hors de question d'attendre plus longtemps, la torture était trop grande. Je voulais voir mon oncle au plus vite, crever l'abcès sans attendre. La douche me détendit à peine et les blagues de mon chauffeur furent à peine plue efficaces.

Une fois à l'adresse que Liam nous avait donné, je fus soulagée de voir son nom sur la sonnette. Il n'avait pas déménagé, c'était déjà une bonne chose. Après avoir pris une grande inspiration, je me décidais à appuyer sur la sonnette... Interrompue de justesse pas une dame qui voulait entrer dans l'immeuble. J'en profitais me faufiler à sa suite. Il nous avait décrit les lieux à l'époque, je m'en souvenais comme si c'était hier. Rapidement, je m'élançais dans l'escalier, préférant prendre mon temps pour réfléchir, mon cerveau bouillant face à toutes les questions que je me posais: Devais-je lui dire toute la vérité ? Allait-il être heureux de me voir? Trouverait-il que c'est une erreur ? Il fallait que je trouve un moyen de tourner ça correctement mais j'étais à cours de temps puisque j'étais déjà devant sa porte...

Prenant mon courage à deux mains, je frappais à la porte. Des coups discrets, trop sans doute, mais je n'étais pas capable de mieux. Nous étions un dimanche, assez tôt dans la matinée, j'espérais qu'il ne soit pas au travail même si c'était une possibilité : les policiers n'ont pas d'heure, la justice n'attend pas. Je déglutis difficilement, le souffle court, presque nauséeuse. Il y avait la fatigue du vol, le décalage horaire, les escaliers, les nerfs. Si je ne dormais pas bien ce soir je ne sais vraiment pas ce qu'il me faut ! Puis soudain, mon cœur glisse dans mon estomac : il a ouvert la porte et il se tient devant moi. Inchangé.

« Surprise ! »

J'aurai voulu avoir une voix plus joyeuse, un sourire plus franc mais je suis vraiment mal, épuisée et gênée. Mes yeux cherchent pourtant les siens et j'ai tendu mes bras dans un geste théâtral. Je me sens atrocement bête même si je suis aussi absolument ravie de le voir. Cet homme est comme un père pour moi et il m'a terriblement manqué... Mais j'ai l'impression de lui faire une crasse et c'est terrible. Sans compter qu'il est aussi trop tard pour faire demi-tour...